Expo : Barbara à la Philharmonie de Paris

Première publication de cette nouvelle année, merci d’être au rendez-vous.

2018, marque la 5ème année de création de mon blog, que le temps file vite. 5 ans de ballades, d’annotations et de réflexions, mais surtout d’images ! des photos où s’entremêlent des étés ensoleillés et des hivers aux sujets divers, je viens ici exposer mon angle de vue sur des lieux, des paysages, des œuvres artistiques et quelques fois même il est question de musique. Car si la photographie occupe une grande place dans ma vie, la musique l’est tout autant, chaque 21 juin le blog fait figure de rétrospective annuelle des artistes que j’ai pu applaudir, je fais le grand écart entre les genres musicaux. Par exemple, en 2013 j’avais écrit un post au sujet d’une diva du R&B intitulé « B: comme beau, B: comme Beyoncé » que je pourrais de nouveau utiliser en ce jour pour une grande artiste de la chanson française, car j’ai le plaisir de revenir cette fois pour vous parler d’une longue dame brune, car assurément B: comme Barbara.

Effectivement, le temps file si vite, qu’il y a déjà 20 ans qu’elle est partie.

En hommage, la Philharmonie de Paris lui a consacrée une fabuleuse exposition dont la scénographie était de toute beauté (conçue par deux grands talents du cinéma et de l’opéra, Christian Marti et Antoine Fontaine), jamais une aussi grande exposition n’avait été jusque là dédiée à la vie et à l’oeuvre de Barbara. Nous pouvions ainsi y découvrir plus de 400 documents, dont beaucoup d’inédits prêtés par des admirateurs ou plus particulièrement par Bernard Serf, le neveu de Barbara qui veille à son oeuvre.

Je vous retrace ma visite avec beaucoup d’exaltation et d’émotion.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Émue, comme en novembre 1997 ou directement en apprenant son décès je pensais également à mon père, qui m’avait familiarisé à sa musique, sensibilisé à ses textes et qui l’aimait suffisamment fort pour décider avec ma mère de me prénommer comme elle. Un héritage assez agréable à porter je dois admettre, car en plus d’être facile à orthographier et peu répandue ( une pensée à toutes les Julie, Sophie et Emilie de croisée pendant ma scolarité…minimum 2 par classe ! ) j’ai aussi l’occasion d’entendre « quel joli prénom » suivi très régulièrement par « Oh Barbara ! comme la chanteuse, c’était vraiment une artiste, une vraie artiste ». Et ce n’est pas tout ! j’étais loin d’imaginer qu’un jour mon prénom me permettrait d’en tirer un avantage, celui de bénéficier d’un tarif ultra méga privilégié, car la Philharmonie de Paris a eu la riche idée d’offrir à toutes les Barbara le droit de rentrer sans payer. Autant vous dire, que ça commençait déjà très bien !

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Nous y sommes, elle est face à nous et nous accueille en nous tendant les mains pour franchir le rideau, nous nous engageons alors dans les coulisses de sa vie. Le parcours chronologique, conçu par la commissaire Clémentine Deroudille, s’articule autour des temps forts de la vie et de la carrière de Barbara.

Tout commence avec sa voix en fond sonore, elle y chante « mon enfance », ma mère et moi nous nous regardons avec les yeux déjà humides tant la force du texte nous saisis, et ce n’est que le début…

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Au début, elle s’appelait Monique Serf née le 9 juin 1930 dans le quartier des Batignolles à Paris. Petite fille juive, son enfance sera marquée par la pauvreté, les séparations, les déplacements de ville en ville pour fuir les huissiers mais aussi pendant l’Occupation, pour fuir la traque faite aux Juifs par les nazis et enfin l’inceste paternel qu’elle évoquera tardivement. Quand la guerre éclate, elle a 9 ans, la famille est divisée, avec son frère elle sera confiée à sa tante, face à l’avancée des Allemands en juin 44 ils fuient en train pour Châteauroux, la locomotive du train est réquisitionnée et les wagons bombardés, le train reste immobilisé 17 jours en rase campagne. L’école communale de Préaux accueille les réfugiés du train, chef de troupe, la jeune Monique monte des scénettes de théâtre avec ses camarades de classe.

De 1941 à 1945, Monique est ballottée sur les routes de France, de Marseille à Poitiers, de Tarbes à Saint-Marcellin. Puis la famille retourne sur la capitale,  c’est là que Monique a trouvé sa voie en faisant la rencontre d’une professeur de chant Mme Thomas-Dusséqué qui la conforte dans son ambition de devenir chanteuse, en parallèle elle joue d’instinct, sans prendre de leçons sur le piano que son père a loué. En 1949, son père quitte soudainement et pour toujours le foyer, la même année la location du piano ne peut plus être honorée, une séparation vécue comme un déchirement.

L’enfance était un sujet sensible, sur lequel elle aura presque toujours laissé la porte fermée lors d’entretiens avec des journalistes. Catégoriquement, elle coupait court aux questions en répondant « je ne me souviens de rien, je n’ai pas eu de passé. Tout ce qui m’intéresse, c’est mon présent. Mon enfance ne m’intéresse pas, et de toute façon, je ne vous dirai rien. Tout ce que j’ai à dire est dans mes chansons et je vous prie de ne pas me poser ce genre de question »

Expo Barbara à la Philarmonie de Paris 12/2017

En 1950, Monique a 20 ans, elle fugue pour la Belgique où elle commence sa carrière dans des cabarets sur Bruxelles, son tour de chant est composé de reprises de chansons d’Edith Piaf, de Juliette Gréco, de Léo Férré et de Jacques Brel, mais l’accueil du public n’est pas des plus chaleureux…c’est à ce moment-là qu’elle décide de se faire appeler Barbara, en hommage à sa grand-mère Russe Varvara Brodsky.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Barbara est de retour sur Paris, elle s’accroche, fais la plonge pendant 1 an dans un cabaret, elle observe et apprend des autres artistes et poursuis les auditions. De rencontres en relations, elle parvient à se produire dans différents cabarets parisiens puis réussie l’audition de l’Ecluse, ce cabaret de la rive gauche lui permet de prendre place avec son piano en s’imposant chaque soir devant 70 personnes, la scène y est petite mais sa notoriété grandit avec un public de plus en plus fidèle à celle qui adopte à présent les cheveux courts et qu’on prénomme la chanteuse de minuit tant il se fait tard quand vient son tour de passer sur scène. Barbara y restera pendant 6 ans.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

De ce cabaret, Barbara dira ceci : « L’écluse est la première maison que j’ai trouvée, là il y avait vraiment un cœur qui battait. Une famille qui m’a accueillie. C’est là que j’ai commencé à respirer, que tout s’est déclenché ».

Juillet 1956, Barbara fait sa première apparition tv dans l’émission « cabaret du soir », à cette époque elle commence à écrire ses propres textes de chansons, ses « petits zinzins » comme elle disait, et se fait engager par Pathé Marconi avec qui elle réalise ses premiers disques.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

En décembre 1959, Barbara apprend que son père alors âgé de 55 ans est mourant et qu’il la réclame, cela fait 10 ans qu’elle ne l’a pas vu, elle accoure pour se rendre auprès de lui sur Nantes mais quand elle arrive c’est déjà trop tard. Au lendemain de l’enterrement, les sentiments mêlés de haine et de désespoir, elle se met à écrire la chanson « Nantes » qu’elle terminera d’écrire 4 ans plus tard juste quelques heures avant de l’interpréter pour la première fois sur la scène du théâtre des Capucines en décembre 1963. Ce soir-là son nouveau répertoire comprenant 2 chansons inédites « Dis quand reviendras-tu ? » (sa première chanson d’amour suite à sa rupture avec le diplomate Hubert Ballay), et « Nantes » seront un vrai succès, lui permettant de quitter les cabarets, de changer de maison de disque et de recevoir l’invitation de Georges Brassens pour passer en première partie de son spectacle à Bobino.

Barbara. l'expo à la Philharmonie de Paris 2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Comme convenu Barbara s’est produite à Bobino, le public fut conquis et la presse unanime allant jusqu’à écrire qu’elle avait fait presque oublier Brassens ! à partir de là, celle qui jusqu’à présent était un peu maladroite et timide cesse d’interpréter les chansons des autres et se met à composer sans relâche, elle écrit des textes personnels en parvenant à sublimer les épisodes sordides de sa vie, enregistre beaucoup et travaille son piano et sa diction car on lui suggère de cesser de rouler les « r ». En mars 1965, son nouvel album signé chez Philips « Barbara chante Barbara » est un succès commercial, qui lui vaudra de remporter le grand prix du disque de l’Académie Charles Cros, lors de la cérémonie Barbara déchire son prix en quatre pour le distribuer aux techniciens et musiciens de son équipe, en témoignage de sa gratitude.

Barbara l'expo à la Philharmonie de Paris 2017

En septembre 1965, Barbara retourne en vedette principale à Bobino. Pour fêter cette occasion, le jour de la première la Radio France inter marque cette date en organisant sur leur onde une journée spécialement consacrée à Barbara. La chanteuse est si profondément marquée par cette première qu’elle l’immortalise peu après dans l’une de ses plus grandes chansons « Ma plus belle histoire d’amour ».

« Ce fut, un soir, en septembre/ Vous étiez venus m’attendre/ Ici même, vous en souvenez-vous ?… »

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Nous poursuivons le parcours et découvrons d’autres textes comme celui de la chanson « Je ne sais pas dire », écrite en 1964. À force de volonté, de travail et de talent, elle parvient à s’imposer comme l’une des premières femmes auteures-compositrices-interprètes à oser parler de sensualité, d’amour et des hommes de cette façon-là.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Ensuite, un mur est dédié à certaines coupures de presse. Barbara avait parfois du mal avec l’exercice de questions-réponses des journalistes, mais elle se liera d’amitié avec l’une d’entre d’elle, Denise Glaser, qui contribua à faire mieux connaître Barbara en l’invitant à 13 reprises. Sur un écran est projeté une interview, l’émission que présente Denise Glaser s’appelle « Discorama », plus qu’une animatrice elle sera celle qui pendant une dizaine d’années déniche les talents, les sors de l’ombre. Dans cette émission musicale diffusée le dimanche soir après la messe, elle les écoute et leur donne la parole comme personne ne l’avait encore jamais fait, les chanteurs ont enfin la parole, ils ne sont plus seulement des voix capables de chanter mais aussi des voix capables de parler, d’avoir un avis et d’exprimer des sentiments, Denise intimidait ses invités avec ses questions singulières et savait laisser place aussi pour la première fois à de vrais silences à la télévision. En juin 1983, Barbara et Catherine Lara seront les seuls artistes à se déplacer pour l’enterrement de celle qui malade, endettée et abandonnée par la profession partira à 62 ans sur la pointe des pieds, malgré plus de 350 heures d’enregistrements…

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Puis, nous découvrons les costumes de scène de Barbara, qui avant chaque représentation ne devaient jamais voir la lumière ni être touché par qui que ce soit. Une garde-robe composée de noir, puis de noir et encore du noir ! car comme elle le disait « le noir est une couleur de fête, de soir, de nuit, de flamboyance, de dignité, de danger, de séduction et de chagrin aussi ». Avec sa longue silhouette fine et élancée, ses cheveux courts et ses paupières surlignées au crayon noir, Barbara qui n’aimait pas son physique aura su inventer son propre style, qui sera sa signature pour toujours.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

À côté de là, c’est la chanson « Göttingen » qui est mise à l’honneur. L’histoire de ce titre nous ramène à l’été 1964 où Barbara se rend en Allemagne, peu enjoué à l’idée de se rendre dans ce pays qui comme elle le disait était une « griffe » pour elle, elle n’était néanmoins pas insensible à l’invitation d’un certain Gunther Klein qui venait sans cesse dès que possible l’applaudir à L’écluse. Gunther Klein avait un petit théâtre, le « Junges Theater » dont il était l’un des animateurs, armé de patience, il supplia Barbara de venir se produire chez lui à Göttingen. Barbara, pose alors une condition essentielle, qu’il y ait un piano à queue mais quand elle arrive dans la cité estudiantine située entre Bonn et Berlin, elle refuse de jouer avec le piano qui s’y trouve car c’est un vieux piano usé et droit qui l’empêche de voir le public. Pas de chance, à ce même moment c’est la grève des déménageurs de pianos…tandis qu’elle hésite à repartir c’est finalement quelques heures plus tard que les étudiants en trouvent un chez une vieille dame et se mobilisent pour le transporter tant bien que mal sur la scène. Barbara n’a pas eu le temps de répéter, le concert commence avec 1h30 de retard mais qu’importe à la fin le public est conquis et lui fait une ovation, un triomphe si grand que Barbara accepte de rester 1 semaine de plus. Dans la journée Barbara se balade et découvre la jolie ville qui fut épargnée des bombardements, elle visite le musée des frères Grimm, observe les enfants blonds…lors du dernier jour elle flâne dans un jardin, elle est si émue et surprise par l’accueil qui lui a été manifesté qu’elle entreprend en guise de remerciement l’écriture de « Göttingen », une première version qu’elle chantera le soir même en lisant le bout de papier avec les lunettes sur le nez. À peine deux ans après sa création, elle enregistrera « Göttingen » en allemand pour l’album « Barbara singt Barbara ». Depuis l’année 2002, cette chanson est inscrite au programme officiel des classes de primaires allemandes, certains y verront une chanson engagée, un hymne de réconciliation Franco-Allemand  mais c’était surtout sa réconciliation avec son passé et une chanson d’amour comme le disait Barbara.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Présenté au public dans son intégralité pour la première fois, on découvre le très joli carnet de bord « le voyage de Barbara », contenant tous les croquis fait par le peintre Luc Simon lors d’une tournée de concerts en 1969.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Olympia 1969, du 4 au 17 février Barbara se produit chaque soir pour 2h de spectacle sur la scène parisienne avec une trentaine de chansons. À l’issue de la dernière représentation, elle annonce à la surprise générale son intention d’arrêter la scène « cet Olympia était un pari, ce métier une aventure, pas du fonctionnariat. Je reprends la route car je ne veux pas revenir chaque fois comme une cousine de famille ». Tout comme Jacques Brel l’avait fait 3 ans plus tôt dans cette même salle, Barbara déclare vouloir arrêter pour fuir le radotage, néanmoins, juste après elle honorera les contrats signés avant cette décision, en effectuant une tournée au Canada, Pays-bas, URSS, Roumanie, Israël et le Japon.

À cette époque-là, Barbara a d’autres ambitions et se lance alors dans une période d’aventures et d’expériences où elle s’essaie au théâtre et au cinéma. Début 1970 elle joue à Paris, au théâtre de la Renaissance « Madame » que Rémo Forlani a écrite spécialement pour elle. Parallèlement elle enregistre le disque des chansons de la pièce dont les musiques sont signées par elle mais les critiques égratignent la pièce et le public boude l’histoire de cette ex-tenancière de maison dans une Afrique imaginaire. Barbara aura participé à quelques films dont notamment en 1971 au côté de J. Brel dans le film « Franz », ainsi qu’en 1973 dans le film à sketchs » l’oiseau rare » de Jean-Claude Brialy, et dans un film réalisé en 1976 par Maurice Béjart pour la télévision « Je suis née à Venise ».

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Retour sur l’année 1971, c’est à ce moment que Barbara touche un nouveau public, avec la chanson « L’aigle noir » qui sera le plus grand succès populaire de sa carrière. En ce temps-là, les paroles de la chanson ont suscitées des discutions passionnées, certains y voyaient le message d’une crainte du retour du nazisme ou plus généralement le délirant récit d’un rêve érotique. Dans ces années 70, sous l’influence du LSD certaines chansons étaient souvent incompréhensibles…mais Barbara se dérobait toujours sur le sens réel des paroles en prétextant que cela ne concernait qu’elle. C’est en 1997, dans ses mémoires « il était un piano noir… » qui paraîtront 1 an après sa disparition qu’elle abordera pour la première fois son enfance dramatique auprès de ce père qui avait abusé d’elle durant des années, sans même que les gendarmes qu’elle était allée alerter prennent la jeune fille au sérieux, écrivait ceci « un soir, à Tarbes, mon univers bascule dans l’horreur. J’ai 10 ans et demi. Les enfants se taisent parce qu’on refuse de les croire. Parce qu’on les soupçonne d’affabuler. Parce qu’ils ont honte et qu’ils se sentent coupables. Parce qu’ils ont peur. Parce qu’ils croient qu’ils sont les seuls au monde avec leur terrible secret ».

L’évidente symbolique de l’inceste dans « L’Aigle noir » devient alors glaçante :

« De son bec, il a touché ma joue/Dans ma main, il a glissé son cou/C’est alors que je l’ai reconnu ». 

Jacques Serf hantera longtemps le répertoire de Barbara, cet aigle noir tournoyant autour de ses nuits à qui elle demandait de la ramener au pays de son enfance, elle l’évoquera dans plusieurs chansons, mais chaque fois dans un langage imagé et codé.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Les années passent, avec d’autres disques et de nombreux spectacles donnés en France et ailleurs (au Japon ou à New York par exemple), Barbara compose encore et écrit d’année en année des chansons qui trouveront un écho auprès d’un public toujours fidèle et privilégié, comme cet admirateur à qui Barbara confiât ses projets artistiques.

Nous sommes au début des années 80 et Barbara décide de se lancer le défi d’aller chanter hors des salles de théâtre habituelles. Son choix se fait alors sur le chapiteau d’un cirque situé sur un terrain vague de la porte de Pantin (à l’emplacement même où se dresse désormais la Philharmonie de Paris) où elle rassemblera 60 000 spectateurs durant 25 représentations.  À 51 ans, Barbara ne se ménage pas et donne tout à son public toujours nombreux mais aussi de plus en plus jeune, la plupart des spectateurs ont entre 16 et 25 ans. Pour la première fois de sa carrière elle accepte que son spectacle soit filmé mais à condition que les caméras soient cachées sous des draps noirs. Durant 3 jours Barbara est filmée par Guy Job, il accumulera au final 290 heures de vidéo, 8 cameraman et 6 mois de montage où Barbara y participera sans relâche.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Le 29 octobre 1982, Barbara est l’invitée du Journal de 20h de TF1 pour promouvoir la diffusion de son spectacle qui sera diffusé sur la même chaîne quelques jours plus tard, elle parle avec passion de son pantin, « sa chair ». De ce triomphal concert, vu comme un véritable show à l’américaine, le soir de la dernière représentation, pour remercier le public d’être venu aussi nombreux, elle composa une chanson spéciale « Pantin » : ♪♪♫ « Pantin espoir, Pantin bonheur, Oh, qu’est-ce que vous m’avez fait là ? Pantin qui rit, Pantin j’en pleure, Pantin, on recommencera… » ♪♪.

Si Barbara a toujours su tisser un lien particulier avec son public, c’est bien à Pantin que son tour de chant prend des allures de messe et de communion totale.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Les années qui suivront Pantin seront marquées par des problèmes à ses cordes vocales, sa voix donne des signes de faiblesse, Barbara consulte alors un phoniatre et suivra pendant 3 ans une rééducation vocale qui aboutira à une récupération quasi complète de sa voix.

Nous sommes en 1986, à deux pas de Pantin, une nouvelle salle vient d’être construite « Le Zénith », c’est là qu’elle se produit aux côtés de son ami Gérard Depardieu pour donner vie à « Lily Passion ». Ce conte musical pensé écrit et conçu par Barbara est très largement autobiographique (l’histoire d’amour d’une chanteuse qui perd sa voix et d’un assassin), et représente pour elle plus de 6 ans d’écriture dont 42 versions différentes ! de ce long processus de maturation seules 12 chansons furent utilisées sur 22 initialement. Lors de l’exposition, dans la salle consacrée à cette tragédie musicale on y découvre les manuscrits originaux, ainsi que des chansons coupées etc…

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Barbara et Depardieu

Les années passent, avec d’autres disques et de nombreux spectacles. Barbara chantera même à New York, et débute en septembre 1987 une série de concerts au théâtre du Châtelet à Paris. C’est à ce même moment qu’elle crée la chanson « Sid’amour à mort » dont elle offrit les droits d’auteur à l’association Sol en si. Très impliquée dans la collecte de fonds pour la recherche d’un traitement contre le VIH, Barbara fut l’une des premières personnalités à mettre son nom et son talent au service de la lutte contre le sida, d’une grande sincérité elle ne se sera jamais rétractée, comme d’autres, par la suite.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

À cet endroit de l’exposition, on découvre les nombreux engagements de Barbara. En 1989, tout au long de l’année, loin des projecteurs et en toute discrétion elle donne son soutien au combat d’Act Up et se rend dans les hôpitaux visiter des malades, bénévolement elle ira chanter et parler du sida dans les prisons (à la Maison d’arrêt d’Amiens, au centre pénitentiaire de Marseille, chez les femmes à Fresnes…) amenant avec elle un médecin de l’Institut Pasteur. Chez elle, Barbara fera même installer une ligne téléphonique pour parler et répondre directement avec les malades, les prisonniers. Lors de tous ses concerts suivants des corbeilles remplies de préservatifs seront mis gratuitement à disposition pour le public. Elle s’engagera également auprès des jeunes autistes, des sans-papiers, des sans-abris, et militera contre la peine de mort. À propos de sa bataille contre le sida : « un abruti m’a dit un jour que je menais cette action parce que j’étais morbide. Mais moi, je hais la mort ! Justement, c’est pour ça ! C’est le goût de la vie qui me fait agir», « Je n’ai pas d’enfant. J’ai des centaines d’enfants à qui je dis maintenant : au nom de l’amour que je vous porte, enfants qui auriez pu être les miens, ces préservatifs, mettez-les».

Ci-dessous on peut y lire un courrier de Barbara adressé à Line Renaud.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris. 12/2017

Je continue de déambuler ici et là, entre les portraits accrochés et les petits rassemblements. Barbara est partout, à tel point que j’en viens à l’imaginer devant moi, par l’effet de la troublante ressemblance entre une visiteuse et Barbara…

Barbara se serait-elle jointe à nous ?

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

C’est en tout cas bien le sentiment que nous avons en arrivant dans la dernière salle. Dans un coin de campagne recomposé, à travers les feuilles, Barbara nous observe de la fenêtre de sa chère maison du 2 rue de Verdun. Depuis la fin de l’année 72, Barbara vivait à 37 km à l’est de Paris, dans son havre de paix, son calme refuge de Précy sur Marne. Dans cette ancienne ferme, entourée de ses chats et ses chiens, elle découvre les plaisirs du jardinage et du tricot, elle y installera pour toujours son piano et son rocking-chair. Précy sera son espace de liberté et de création, un réduit est transformé en petit théâtre qu’elle appelle « la grange aux loups », elle y met deux pianos et un clavier électrique, une sono, des micros, c’est entre les murs de ce bâtiment couvert de glycines qu’elle imagine ses futurs spectacles, et compose ses chansons jusqu’à la fin de sa vie.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris. 12/2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Suivront en 1990 une nouvelle série de concerts Parisiens à Mogador, puis une tournée au Japon, en 1993 elle retrouve encore le théâtre du Châtelet mais elle se voit contrainte d’annuler 6 représentations pour cause de pneumonie.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

À la fin du mois de janvier 1994, en dépit de l’avis des médecins, Barbara repart en tournée, malgré la fatigue elle se donne encore toute entière à son public, elle ne se contente plus d’interpréter ses chansons, elle les joue, les met en scène. Elle devient prêtresse, chamane, déesse, jusqu’à l’épuisement, et accorde encore après cela des séances de dédicaces interminables à son public qui l’aime avec constance, ferveur et gratitude comme peu d’artistes peuvent prétendre avoir été aimés. À Tours, elle descend pour la première fois de scène pour se rapprocher au plus près d’eux, les toucher, les saluer … ce 26 mars 94 sera son dernier concert.

Barbara dernier concert à Tours

Les médecins et les assurances lui interdisent de se produire sur scène mais pas de chanter, alors un an et demi après son dernier concert, Barbara décide d’enregistrer son 16 ème et ultime disque composé de 12 titres. Le 10 février 1997, les victoires de la musique décernait à Barbara la victoire de la meilleure interprète féminine de l’année, à cette occasion elle intervenait en direct par téléphone en déclarant « Oh c’est gentil, c’est vraiment gentil mais je ne sais pas qui remercier. Je voudrais aussi m’adresser à Zazie et Ophélie Winter, leur dire bon c’est pas que je sois la meilleure, c’est que je suis la plus vieille et que le plus beau de la route est devant elles et que voilà je ne suis pas la meilleure interprète. Voilà c’est comme ça ! je vous aime et tout va bien ».

Barbara, alors en pleine écriture de ses mémoires, vient de faire sans le savoir, sa toute dernière intervention publique.

Ci-dessous, quelques lignes écrites et souvent raturées par Barbara en vue de l’élaboration du livre de ses mémoires.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris.12/2017

Neuf mois plus tard, terrassée par la maladie, le 24 novembre 1997 à l’âge de 67 ans, Barbara s’éteint …mais pas complètement car 20 ans plus tard, à la philharmonie c’est bien de la lumière et du plaisir que Barbara nous procure en apparaissant sur le grand écran.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Moment suspendu et bouleversant quand soudain nous entendons Barbara chanter, avec son phrasé unique mêlé de force et de fragilité, toujours à la limite de la rupture, à fleur de souffle. Elle semble tellement être là, près de son piano et son fauteuil à bascule, il y a même les lampions colorés presque identiques à ceux des concerts de Pantin. Des frissons dans tout le corps s’emparent de moi, l’émotion est à son comble et l’illusion parfaite. Tout le monde écoute alors religieusement celle dont la vie toute entière fut guidée par l’obsession de chanter.

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

Exigeante aux moindres détails (température des coulisses, couleur des éclairages, hauteur millimétrée de son tabouret) rien n’était laissé au hasard et la moindre négligence pouvait provoquer de grande colère pour celle qui nous laisse en héritage des concerts devenus mythiques. À la question d’un journaliste qui lui demandait « à quel moment de la journée investirez-vous votre loge du Châtelet? » elle répondait : «  j’y serai dès le matin et j’attendrai le lever du rideau. Le soir, j’entendrai les spectateurs arriver comme s’ils descendaient des collines, je capterai leurs discussions, leurs chuchotements, leurs éclats de rire. J’avancerai alors vers la scène avec ma peur. Le théâtre protège de tout. Entre ses murs, on a l’impression d’être à l’abri, d’être dans un monde où ne pénètrent ni violence ni guerre. »

Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017
Expo Barbara à la Philharmonie de Paris / 12.2017

L’exposition est terminée, nous sommes resté plus longtemps que je l’aurais imaginé. Du reste, quand on évoque Barbara l’imaginaire collectif ne la cantonnerait t’elle pas généralement et uniquement qu’à un personnage sombre et mystérieux en costume de corbeaux ? chantant des textes tristes et noirs comme ses grands yeux ? et bien justement, c’est là toute la réussite de cette exposition qui nous a permis d’y découvrir une Barbara attachante, généreuse, sensible et surtout si drôle !! une femme fascinante, devenue depuis un patrimoine de la chanson Française et dont les textes, aussi personnels qu’ils le furent, touchent encore et pour longtemps à l’intime de chacun d’entre nous.

Barbara aimait dire « l’absence a ceci de magnifique qu’elle permet le retour »

Alors, MERCI à la Philharmonie de Paris d’avoir rendu cela possible, qu’entre le 13 octobre et 27 janvier dernier nous l’ayons retrouvée; bien qu’il semblerait que 20 ans après sa disparition, elle ne se soit jamais tout à fait absentée de nos cœurs ni des ritournelles qui me viennent en tête quand j’actionne mon appareil en fredonnant ♪♫♫ « Si la photo est bonne… » ♪♫

Je m’éclipse pour lui laisser la place, laissez-vous séduire sur les notes de sa déclaration d’amour et enfin écoutez là chanter le mal et la joie de vivre car qu’on se le dise Barbara c’était aussi beaucoup de joie.

À la fois prochaine !

Barbara

© crédits photos Barbara Eichert


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6 commentaires sur “Expo : Barbara à la Philharmonie de Paris

  1. J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte. blog très intéressant. Je reviendrai. N’hésitez pas à visiter mon univers. au plaisir

  2. Une exposition poignante, touchante, criante de beauté, de douleur, et surtout d’amour !.. Elle m’a bouleversé par son caractère brut et poétique, tout comme ce que tu me fais revivre ici, par ce récit fourni et généreux ! Bravo ! Mademoiselle B … comme bonheur comme Barbara .

  3. Que d’éloges !! euhhh que rajouter…ah si merci merci Angelilie, c’est toujours bien plaisant et encourageant de lire de telles choses. Effectivement nous avons en commun le gout des belles images, celles aussi en noir et blanc et de l’immortelle Marilyn, alors à bientôt!

  4. Coucou ma Barbara à nous. J’ai grâce à toi encore appris de cette grande artiste que j’ai toujours aimé. Merci Baba. A bientôt.

  5. Bonjour Barbara,
    ou si j’osais…J’ose?…J’ose…
    Bonjour Barbaras…

    RE-MAR-QUA-BLE!… Encore un reportage photos époustouflant accompagné de commentaires éclairés qui nous permettent d’en connaître davantage sur cette mystérieuse Dame en noir… Dont personnellement, je ne connaissais guère plus que le parfum distillé par G.Leroux…
    Grâce à vous, tous les fidèles lecteurs de ce blog n’ayant pas eu le loisir de se rendre à la Philharmonie de Paris, ont pu découvrir avec plaisir cette exposition qui lui était consacrée. Photos, documents, dessins, écrits et lettres autographes, pour la plupart peu voire méconnus portent un témoignage poignant sur la vie de cette artiste. La révélation pour ceux qui comme moi l’ignoraient encore, de la genèse avérée de son best seller l’Aigle noir, est un effarement.
    A contrario, le visionnage de l’interview donné avant son concert à Bobino qui nous la montre souriante, spontanée, authentique, pleine d’à propos, en entrouvrant le voile sur sa personnalité est un enchantement.

    …Et pour couronner votre reportage, vous avez même su dénicher au milieu de cette foule de visiteurs…sa réincarnation!…

    Bibi* l’artiste!

    *Pour varier de l’habituel cliché…

  6. Alors là ! chère Aimée, avoir pu vous faire apprendre 2, 3 choses sur Barbara ! il n’en faut pas plus pour me ravir car c’est tout l’intérêt de cet article 🙂 toujours heureuse de vous lire, merci d’être là ❤

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